Niveaux de prix et niveaux de vie. Une comparaison européenne

En février 2011 le SPF Economie rendait publique une étude intitulée « Niveau de prix dans les ­permarchés ». Cette étude avait pour objectif principal « d’identifier les causes des différences in­ternationales de prix et, le cas échéant, de proposer des actions en vue de réduire ces différences de prix ». Cette mission a été confiée à la Direction générale de la Concurrence du SPF Economie.

C’est le résultat suivant de cette étude qui a surtout retenu l’attention des commentateurs et ana­lystes : « Il ressort de notre analyse (…) que des produits identiques sont sensiblement plus chers en Belgique que chez nos voisins. Selon les données récoltées, des produits identiques (…) coûteraient :

– 10,4% de plus en Belgique qu’aux Pays-Bas (…) ;

– 10,6 % de plus en Belgique qu’en Allemagne (…) ;

– 7,0 % de plus en Belgique qu’en France (…). »

Même si elle est intéressante, l’étude du SPF Economie ne tient cependant pas compte

– des autres consommations : logement, énergie, santé, loisirs…

– des pondérations variables d’un pays à l’autre en matière de consommation alimentaire mais aussi de l’ensemble des postes de consommation (variabilité socioculturelle et socioé­conomique)

– du niveau de vie : beaucoup de consommateurs, peut-on supposer, accepteraient de payer des prix norvégiens à condition de disposer du même niveau de vie moyen (plus élevé que celui de la Belgique).

Tenant compte de ces considérations, la dernière étude de l’Institut pour un Développement Durable se propose de compléter et prolonger l’approche adop­tée par le SPF Economie en tenant compte de toutes les consommations, pondérées en fonction des choix et habitudes nationales. J’en ai profité pour élargir la comparaison internationale à 10 pays (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-Bas et Royaume-Uni) et à la moyenne de la zone Euro.

Commençons par quelques constats :

1. Les écarts de prix mesurés sur base des Parités de pouvoir d’achat apparaissent pour les produits alimentaires (y compris les alcools) moins élevés que ceux mis en évidence par l’étude du SPF Economie entre la Belgique d’une part et l’Allemagne et la France d’autre part. L’écart est par contre plus élevé encore avec les Pays-Bas. Si on élargit l’échantillon de pays qui servent de point de comparaison et les catégories de consommation considérées, on constate

> en ce qui concerne les consommations alimentaires que

– la Norvège est incontestablement le champion de la vie chère ; elle arrive en tête de classement pour quasiment toutes les catégories de produits alimen­taires

– l’Espagne est au total le pays globalement le moins cher mais n’est le meilleur marché qu’en matière de viande et de boissons alcoolisées

– si c’était possible, l’idéal pour un consommateur européen serait, en considé­rant les pays retenus pour la comparaison, d’acheter pain et poisson au Royaume-Uni, viande et alcools en Espagne, lait, fromage, Å“ufs, huiles et graisses aux Pays-Bas et fruits, légumes et boissons non alcoolisées en Italie.

> en ce qui concerne les autres consommations que

– le classement est plus diversifié ; c’est normal, puisqu’il y a ici à la fois des biens (dont les niveaux de prix sont très dépendants du niveau de taxation et de l’ouverture économique) et des services (plus dépendants des coûts sala­riaux nationaux)

– le Royaume-Uni est le pays le moins cher pour le logement (y compris l’ameublement), l’Espagne l’est pour la santé, le transport, les loisirs et la culture et l’HORECA, la Finlande pour le poste communication et l’Allemagne pour l’enseignement.

2. En ce qui concerne les consommations énergétiques domestiques, les données euro­péennes confirment que les niveaux des prix de l’électricité et du gaz sont relativement élevés en Belgique (en matière d’électricité par exemple seuls les allemands et les danois paient plus que nous) mais qu’en outre les prix ont eu tendance à augmenter plus en Bel­gique que dans les autres pays considérés.

3. Les données rassemblées par notre étude ont montré tout l’intérêt de ne pas réduire l’analyse aux seuls achats en supermarchés. Dans une vision élargie de la consommation il faut tenir compte non seulement de la dépense de consommation totale qui est supportée directe­ment par les ménages (achats alimentaires, énergie, loyers, ticket modérateur en matière de sois de santé, assurances…) mais aussi de la consommation individualisable des admi­nistrations publiques et des institutions sans but lucratif au service des ménages. Ces dé­penses concernent notamment et principalement l’éducation, la santé, la culture et le loge­ment.

4. Les données utilisées permettent aussi de calculer les niveaux de vie relatifs (ni­veaux de vie matériels s’entend !). Si l’on ne tient compte que de la consommation directe des ménages, la Belgique se trouve en milieu de classement des pays repris dans l’échan­tillon. Par contre si l’on tient compte de la consommation globale – c’est-à -dire en ajoutant à la consommation directe des ménages les dépenses individualisables des ISBL et pou­voirs publics – la Belgique se retrouve en 9ème position sur 11 pays.

5. Mais, même si on s’en tient à une approche strictement matérielle du niveau de vie, il ne faut pas seulement examiner le volet consommation (directe ou globale) mais également la satisfaction apportée par l’épargne (brute) des ménages et ce qu’elle implique sur le taux d’endettement brut et l’accumulation d’actifs financiers. De ce point de vue on peut émettre l’hypothèse que les ménages belges compensent ainsi leur moindre niveau de vie matériel par rapport à certains pays. Ils ont en effet un taux d’épargne élevé, un taux d’endettement faible et ont accumulé beaucoup d’actifs financiers !

Terminons par quelques considérations :

1. Rappelons d’abord, avec insistance, que les données statistiques utilisées dans cette ana­lyse doivent être considérées comme des ordres de grandeur. Les résultats peuvent aussi être influencés par la conjoncture et autres programmes d’austérité.

2. Il faut évidemment s’interdire des considérations simplistes. Les modèles nationaux sont faits d’interdépendances, souvent complexes. On ne peut isoler certaines dimensions plus « sympathiques » en oubliant le reste !

3. Un certain nombre de pays, en particulier ceux qui nous entourent, ont un niveau de vie tous comptes faits proche du notre. Les niveaux de vie se trouvent dans un mouchoir de poche, a fortiori si on intègre les différences en matière d’épargne et d’endettement. Ceci tend à relativiser quelque peu les (parfois importantes) différences de prix entre pays ob­servées par ailleurs.

4. On n’insistera jamais assez sur l’importance d’intégrer dans les comparaisons internatio­nales (mais aussi dans le temps) la partie de la consommation des ménages qui est « socia­lisée ». Cette dimension est pourtant souvent négligée. Or elle tend à caractériser les diffé­rents modèles nationaux au moins autant que les différences (niveaux de prix et structure) de la consommation généralement considérée.

5. Enfin, comme l’ont montré d’autres études, au niveau de vie matériel atteint par beaucoup de pays européens ce sont d’autres dimensions de la vie en société qui expliquent l’essen­tiel des différences en matière du bonheur ou de la satisfaction.

Vous trouverez plus de précisions dans la note ci-contre.

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