Les salaires entre 2014 et 2018 : ni le PTB, ni Michel n’ont (tout à fait) raison

Le PTB a récemment publié une étude intitulée : « UN TRANSFERT DE PRÈS DE 9 MILLIARDS DES POCHES DES SALARIÉS VERS LES PROFITS DES ENTREPRISES – UNE PERTE MENSUELLE DE 191 EUROS POUR CHAQUE TRAVAILLEUR SALARIÉ » rédigée par son service d’études.

La principale conclusion de l’étude est : « Entre 2014 et 2017, la part des salaires (dans le Revenu National Brut) a reculé de 2 %. (…) À l’inverse, la part des profits des entreprises a augmenté de 2,7 %. Cela veut dire que les entreprises ont engrangé annuellement 12 milliards d’euros de profit supplémentaire. »

Baisse de la part des salaires il y a, c’est incontestable. Mais le PTB commet plusieurs erreurs méthodologiques dans son analyse :

  1. Il prend comme référence le Revenu National Brut (RNB) plutôt que le Produit Intérieur Brut (PIB), référence choisie par la plupart des études. A juste titre, puisque l’évolution de la part des salaires dans la valeur ajoutée dépend largement de décisions prises sur le territoire belge.
  2. Alors qu’elle cite les indépendants dans le résumé introductif, le reste de l’étude ne tient compte que des seuls salariés. Or il est évident que dans les revenus d’une activité d’indépendant il y a une part travail et une part capital.
  3. Ne pas tenir compte de la dépréciation du capital dans les « profits » conduit évidemment à sur-estimer la part des profits.
  4. Enfin, les calculs du PTB sont effectués pour un moment conjoncturel particulier, à savoir une « sortie de crise ». Il faut évidemment tenir compte des fluctuations conjoncturelles pour apprécier les évolutions dans le partage de la valeur ajoutée.

On ajoutera encore qu’opposer salariés et propriétaires du capital financier en deux « blocs » séparés/étanches néglige le fait qu’une part des dividendes est versée à des salariés et indépendants pensionnés au travers des divers dispositifs visant à fournir des revenus complémentaires (fonds de pension, épargne-pension…).

Corriger l’approche du PTB, sur base des lignes directrices détaillées ci-dessus, conduit aux constats suivants :

  1. La part des revenus du travail est évidemment plus élevée dès lors que l’on intègre, à juste titre, les revenus du travail des indépendants.
  2. La part des revenus du travail baisse entre 2014 et 2017, c’est incontestable, mais revient, en 2017, à son niveau d’avant la crise. De l’art de choisir les périodes de référence…
  3. La part des « profits » dans la valeur ajoutée, une fois que l’on a tenu compte de la dépréciation du capital et de la part travail des indépendants, est en hausse depuis 2013 mais est encore, en 2017, inférieure à celle observée entre 2004 et 2007. Par ailleurs on ne constate pas une hausse tendancielle sur une longue période de la part des profits comme l’affirme l’étude du PTB.

La réponse du parti du Premier ministre et du MR à l’étude du PTB porte, pour l’essentiel, sur l’évolution des salaires nets induite par le tax-shift.

L’augmentation moyenne des salaires bruts nominaux (hors ancienneté et autres évolutions) entre le début 2015 et la fin 2018 est très proche de 6%. C’est cette augmentation nominale qui a été retenue dans le calcul des évolutions des salaires nets ci-après. L’évolution – sur la même période – des salaires réels a été négative d’environ 2%, conséquence bien évidemment du saut d’index.

Pour essayer d’y voir clair sur l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires, et des petits salaires en particulier (principale « cible » du tax-shift), l’Institut pour un Développement Durable a calculé l’évolution entre le début 2015 et la fin 2018 du salaire net, en absolu et en pourcentage, pour divers petits salaires, à temps plein ou à temps partiel. Le tableau suivant donne les résultats pour 4 situations emblématiques (il y en a plus dans l’étude) :

Voici les principaux constats :

  1. L’évolution du pouvoir d’achat entre le début 2015 et la fin 2018 se situe entre une baisse de -10 €/mois ou -0,9% (situation d’un parent seul avec 2 enfants travaillant à temps partiel et gagnant 1.200 € bruts par mois) et une hausse de 86 €/mois ou +6,1% pour un travailleur à temps plein payé au salaire minimum garanti ;
  2. Ce dernier montant est loin des 140 € annoncés pour 2 raisons : 1° le calcul intègre les conséquences du saut d’index et 2° la réforme du précompte professionnel doit encore se poursuivre jusqu’en 2020.
  3. C’est la prise en compte du saut d’index qui explique des (modestes) reculs du pouvoir d’achat pour les parents seuls travaillant à temps partiel ; en effet, les changements des paramètres fiscaux rapportent peu aux personnes concernées dans la mesure où avant la réforme fiscale ils/elles ne payaient déjà pas de précompte professionnel ou très peu ;
  4. Avec les niveaux de salaires considérés les personnes à temps partiel retirent un intérêt (proportionnellement) moindre de la réforme fiscale que les personnes à temps plein et les parents seuls avec 2 enfants un intérêt moindre que les personnes isolées ; or ceux et celles qui ne bénéficient pas beaucoup de cette réforme fiscale sont souvent des personnes/ménages précaires ;
  5. Un des buts de la réforme est d’accroître le différentiel entre le salaire net et les allocations (minimales en tout cas) ; si on prend comme référence le revenu d’intégration (RIS), le différentiel s’accroît de quelques pour-cents pour les personnes à temps plein ; pour les personnes isolées à temps partiel, le différentiel ne bouge pas de manière significative et se réduit même pour les tous petits salaires ; enfin, pour les parents seuls avec 2 enfants travaillant à temps partiel le revenu d’intégration demeure largement supérieur au salaire net reçu en cas de travail à temps partiel ;
  6. Si on devait tenir compte des dépenses liées à l’emploi (déplacements et, le cas échéant, des frais spécifiques liés à la garde d’enfants), le différentiel salaire/allocations se réduit de toute manière à pas grand chose pour de nombreux travailleurs précaires, avec ou sans tax-shift.

Deux messages :

  1. Le partage de la valeur ajoutée doit être considérée globalement, en y intégrant le travail des indépendants et en connaissant mieux la répartition des dividendes.
  2. Une fois de plus les travailleurs à temps partiel et les parents seuls avec enfants qui ont des bas salaires sont moins bien considérés. Il faudra encore beaucoup de pédagogie pour expliquer que seul un revenu de base peut, pour ces catégories et pour d’autres, réduire les pièges à l’emploi tout en garantissant un revenu correct en l’absence d’emploi.

Plus de données et commentaires dans la note jointe.

Leave a Reply