Les statistiques officielles sous-estiment gravement la hausse des loyers

En 2004, l’Institut pour un Développement Durable a publié une étude consacrée à la hausse des loyers. Sa principale conclusion était que « L’indice des prix et la comptabilité nationale sous-estiment la hausse des loyers ». Cette conclusion avait d’ailleurs fourni le titre de cette étude de 2004.
7 ans plus tard, c’est volontairement que j’ai repris, pour la dernière étude de l’Institut pour un Développement Durable, le même titre. En effet, rien de semble avoir changé et la conclusion est aujourd’hui : l’indice des prix et la comptabilité nationale sous-estiment encore et toujours la hausse des loyers.
Toutes les sources statistiques connues et accessibles en matière de loyers ont été compulsées pour cette étude, à savoir :
• la Comptabilité nationale
• l’Enquête sur les budgets des ménages
• l’Enquête sur les revenus et les conditions de vie (plus souvent connue sous l’acronyme SILC), qui est l’enquête qui sert notamment à calculer le taux de pauvreté
• les données de l’Observatoire bruxellois des loyers
• les indices des loyers dans l’indice des prix à la consommation.
Le lecteur intéressé trouvera à la fin de la note jointe un tableau reprenant les données disponibles pour la période 2000-2010.
L’Enquête sur les budgets des ménages et celle sur les revenus et les conditions de vie aboutissent toutes les deux à un loyer mensuel moyen d’environ 440 € par mois pour 2009. On peut donc estimer qu’en 2011 le loyer moyen est d’environ 470 € par mois. Ce loyer est une moyenne entre le loyer moyen payé dans le secteur social et le loyer moyen payé dans le secteur locatif privé. Il est normal, comme l’indiquent les données de l’Observatoire bruxellois des loyers, que le loyer moyen soit plus élevé dans la Région de Bruxelles-Capitale.
La comparaison de toutes les informations rassemblées montre que, d’évidence, la Comptabilité nationale et l’indice des prix sous-estiment la hausse des loyers.
En ce qui concerne la Comptabilité nationale, j’estime que la sous-estimation de la hausse concerne à la fois
• la masse totale des loyers à prix courants (à savoir le loyer moyen multiplié par le nombre de ménages locataires) ; si le loyer moyen en 2009 tourne bien autour de 440 €/mois, la masse totale des loyers estimée par la Comptabilité nationale devrait être d’un milliard € au moins plus élevée ;
• et l’évolution du « volume » des loyers (à savoir la masse des loyers après élimination de la hausse de l’indice-santé, qui sert à indexer les loyers) ; cet indicateur est supposé mesurer l’évolution de la quantité de logements mis en location en tenant compte de leur caractéristiques (il est normal de payer plus cher, par exemple, pour un appartement qui a été rénové ou, toutes choses égales par ailleurs, pour un appartement avec une terrasse) ; on notera à ce propos que, vu l’augmentation très importante du nombre de ménages (environ 400.000 en plus sur la période 2000-2010), on peut faire l’hypothèse d’une hausse du même ordre de grandeur du nombre de ménages locataires.
En ce qui concerne l’indice des loyers (dans l’indice des prix), la méthodologie relative aux loyers sociaux semble correcte. Toutes les sources statistiques indiquent une très forte hausse des loyers sociaux, de l’ordre de 40 à 50% entre 2000 et 2010, soit environ 2 fois plus que l’indice-santé (qui n’a augmenté « que » de 22% sur la même période).
Il apparaît par contre que l’indice des loyers non sociaux (qui concerne plus de 80% des locataires) dans l’indice des prix à la consommation soit en décalage total par rapport à l’évolution des loyers observée par ailleurs.
Il est évident – sur base de multiples observations – que l’indice des loyers non sociaux doit augmenter plus vite que l’indice-santé. On notera au passage qu’on se demande à quoi servent les calculs du SPF Economie si c’est pour arriver à la conclusion que les loyers non sociaux évoluent comme l’indice-santé, ce qui est tautologique si on considère les seules évolutions des loyers en cours de bail.
Certes, on peut diverger d’opinion quant à la méthodologie à appliquer pour l’indice des loyers. Mais on ne peut se contenter d’enregistrer les hausses en cours de bail, liées à la seule indexation ; il faut, à mon avis, y ajouter les hausses qui s’opèrent à chaque changement de bail. Or celles-ci sont une réalité si on en croît les observations de terrain, en particulier pour les logements comme les studios ou les chambres dites d’étudiant. L’Enquête sur les revenus et de conditions de vie confirme une hausse beaucoup plus forte des loyers des logements d’une pièce.
Tenant compte de ces diverses informations, on peut estimer que le loyer moyen augmente tendanciellement d’au moins 1% par an en plus que la hausse de l’indice-santé.
La hausse des loyers observée est bien une hausse moyenne. Elle est la résultante de l’évolution de loyers qui (normalement) sont simplement indexés pendant la durée du bail et de hausses qui interviennent lors d’un changement de locataire.
Notons encore que la sous-estimation de la hausse des loyers conduit aussi à une sous-estimation de la hausse du « revenu imputé » aux propriétaires, à savoir l’estimation du loyer qu’ils devraient payer s’ils étaient locataires, et non propriétaires, du bien qu’ils occupent.
Ces constats m’amènent à formuler 2 grandes recommandations
1. Il est urgent de revoir les méthodologies relatives aux loyers tant dans la Comptabilité na¬tionale que dans l’indice des prix.
2. Pour ce faire il faut améliorer très significativement les données de référence, sur base des lignes directrices suivantes :
• faire appliquer véritablement la loi qui prévoit l’enregistrement obligatoire des baux
• exploiter les données contenues dans les baux enregistrés
• compléter les informations par des enquêtes plus poussées qui permettent de mesurer la « qualité » du parc immobilier locatif et son évolution ;
• accorder une importance particulière (avec l’aide notamment des CPAS et des acteurs associatifs concernés) pour les logements modestes dont tout indique que les loyers ont augmenté plus que d’autres, que leurs baux sont moins souvent enregistrés (en tout cas tant que la loi sur l’enregistrement ne sera pas mieux appliquée) et donc les loyers moins bien connus.
On ne peut continuer à traiter ainsi des données aussi importantes pour la vie quotidienne d’environ 1.500.000 ménages et pour des données socioéconomiques essentielles comme l’estimation du PIB, les évolutions du pouvoir d’achat, etc.
Il est urgent que les institutions concernées (l’Institut des Comptes Nationaux, l’INS, la Commission des prix et le Conseil supérieur de la statistique) se penchent sérieusement sur cette problématique, pour améliorer le diagnostic des faiblesses des méthodologies actuelles de mesure de la hausse des loyers et, surtout, proposer des démarches qui permettent de mieux connaître les loyers et leurs évolutions.

Vous trouverez plus de développements dans la note jointe.

Philippe Defeyt

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