Faut-il vraiment maximaliser la biodiversité ? J-P Ledant ouvre le débat…

L’idée qu’il faudrait systématiquement maximaliser la biodiversité est répandue mais elle est discutable. Aussi déplorable que soit chaque extinction d’espèce, il n’y a pas exactement lieu de vouloir maintenir aussi élevé que possible le nombre d’espèces existantes. Ceci est vrai à l’échelle globale car les diverses espèces ne sont pas équivalentes. C’est a fortiori vrai à l’échelle locale car certaines espèces peuvent s’y avérer indésirables pour qui les côtoie comme pour la conservation globale. Un raisonnement analogue peut être tenu pour les autres grandeurs associées à l’idée de biodiversité. Inversement si l’on cherche à identifier ce qui importe dans l’environnement biologique, les variables quantifiables associées à l’idée de biodiversité n’y ont qu’un poids très relatif. C’est seulement si l’on se réfère à une définition large de la biodiversité, en tant que globalité du vivant, qu’on peut affirmer qu’elle est capitale mais elle n’est alors pas quantifiable et la maximaliser n’a donc pas de sens. Par conséquent le concept de biodiversité indique bien peu de choses sur la façon dont nous devons gérer les écosystèmes. A défaut de maximaliser la biodiversité elle-même, ce sont les « services écosystémiques », y compris la contribution à la conservation des espèces menacées d’extinction, qu’il convient de maximaliser.
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4 Responses to “Faut-il vraiment maximaliser la biodiversité ? J-P Ledant ouvre le débat…”

  1. Perez dit :

    Je ne suis absolument pas d’accord avec votre analyse du maintien ou non de la biodiversité et de votre idée de décider de qui peut vivre et qui peut mourir. Je pense qu’il faut maintenir les espèces pour elles-même et pas seulement en fonction de leur utilité plus ou moins avérée. D’ailleurs, en raisonnant comme vous le faites, la première espèce dont il ne faut surtout pas maintenir la population est l’homme. En effet, aucune autre espèce n’est aussi « indésirable pour qui les côtoie comme pour la conservation globale »

  2. Jean-Paul Ledant dit :

    L’opinion que je défends est que la conservation des espèces se justifie mais qu’il ne faut pas forcément le plus grand nombre d’espèces en chaque endroit. Cette restriction est vraie tant pour la conservation des espèces elle-mêmes qu’à des fins plus utilitaires. Un point de vue anthropocentriste n’est donc pas nécessaire à cette conclusion. Mais il est vrai que j’adopte volontiers un tel point de vue, car c’est celui du développement durable et il occupe d’ailleurs une grande place même dans les textes en faveur de la biodiversité. Je pense que de toutes façons on ne peut pas parler au nom des autres espèces et que tout point de vue, même celui de mon contradicteur, est défini par des humains. Ce ne m’empêche pas de respecter d’autres opinions philosophiques ou d’ordre religieux, mais ceci dans la seule mesure où personne ne se sert de « vérités » transcendantes pour contraindre ou léser des tiers.

  3. Dulieu dit :

    Favoriser la biodiversité.

    Il me semble que la stratégie la plus raisonnable et sans doute la plus rationnelle est de garder une attitude pragmatique.
    L’Homme est la seule espèce qui agrandit indéfiniment à la fois son espace vital et sa niche écologique. Cela est surtout vrai pour les populations des régions industrialisées, mais cette particularité a tendance à se généraliser. De ce fait, il est banal de répéter que les biotopes de nombreuses espèces se réduisent et amèneront rapidement à l’extinction celles qui n’auront pas eu le temps de s’adapter à des conditions de vie différentes.
    Les scientifiques sérieux sont d’accord pour admettre le principe d’apparition des espèces selon les mécanismes évolutifs même si certains aspects échappent encore à notre connaissance. Cela implique une durée de vie limitée dans le temps et donc une disparition naturelle, dès lors qu’une espèce nouvelle concurrente s’est formée ou bien lorsque que les conditions écologiques ont été modifiées. Ce processus est cependant inscrit dans le temps évolutif, qui n’est pas à l’échelle de temps au cours duquel les espèces disparaissent du fait de l’expansion de l’activité de destruction de l’espèce humaine. On ne peut donc évoquer l’argument de l’apparition-disparition naturelle d’espèces pour justifier la perte de biodiversité que nous constatons. Les espèces à favoriser sont donc celles qui risquent de disparaître de la faute de l’activité humaine.
    Il faut donc que naisse une nouvelle espèce d’Homme, Homo ecologicus, qui sera capable de se maintenir sur Terre sans détruire le reste du Vivant. C’est d’abord son intérêt à court terme puisque même l’Homme industriel survit grâce aux plantes, aux animaux, aux microbes qui l’entourent et qu’il cultive souvent. C’est aussi son intérêt à long et à très long terme puisque le détournement de toute la productivité biologique de la planète au seul profit d’une espèce conduit immanquablement au court-circuit des chaînes alimentaires, donc à une banalisation de presque tous les écosystèmes. Le serpent se mordra donc la queue.
    Il est un domaine dans lequel la biodiversité doit être favorisée, alors même qu’elle est en prise directe sur la survie de l’Homme : celui des espèces cultivées et de leurs variétés, végétales et animales. C’est un problème crucial et tout à fait pratique : actuellement, il se passe une diminution exponentielle du nombre de variétés cultivées dans le monde. Parmi les nombreuse formes de plantes et d’animaux, il en est qui sont porteuses de caractères génétiques permettant l’adaptation à des climats nouveaux plus excessifs. La plus grande attention doit être portée au maintien de collections. Ceci est vrai aussi dans le domaine forestier d’autant plus que leur cycle biologique est beaucoup plus long.
    Proclamer de façon péremptoire que la biodiversité doit être maximale partout n’est donc qu’une position de principe sans intérêt car elle ne permet que de philosopher.

  4. Marie dit :

    Bonjour

    Quelques réflexions après lecture de l’article de JP Ledant.

    Si il est exact que l’on ne souhaite pas maximiser la diversité, que certaines espèces ne sont pas souhaitables partout, les espèces qui disparaissent ne sont pas celles que l’on souhaite faire disparaitre. Elles ne disparaissent par ailleurs pas par suite qu’une action volontaire directe mais plutôt en conséquence d’une surexploitation, d’une concurrence entre usages… Les espèces les plus nuisibles pour l’homme (virus, bactéries pathogènes..) sont soigneusement conservées dans des laboratoires de haute sécurité pour les « services » qu’elles pourraient rendre par exemple dans le cadre d’une guerre bactériologique. La lèpre, la peste ou la vérole, si leur propagation est limitée, ne risquent pas de disparaitre de sitôt des laboratoires militaires…

    JP Ledant postule que soit la biodiversité est quantifiable, auquel cas si l’objectif n’est pas de la maximiser, on peut se demander quel il est, soit elle n’est pas quantifiable, auquel cas le concept est pour le moins flou.

    La comparaison avec d’autres « valeurs » montre que la biodiversité n’est pas la seule à montrer ce type de symptome. Pour quelles raisons devrions nous accepter que des espèces disparaissent ? Au nom du progrès, du développement, de la croissance économique ? Un concept comme le développement est bien plus complexe et flou que celui de biodiversité. En terme économique, la critique du PIB, du PNB et autres tentatives de quantification du développement économique remplit des bottins entiers. Supposons même que l’on accepte de perdre x espèces au nom de la croissance du PIB. Pouvez vous me dire combien d’espèces nous allons devoir perdre pour maximiser notre PIB ? Mais l’objectif est il vraiment de maximiser le PIB ? Ne serait ce pas plutôt le bonheur l’objectif ultime au nom duquel nous devons accepter le disparition d’espèces ? Alors là , en terme de flou, le bonheur, c’est fameux. Qui se risque à quantifier le bonheur ? Les autres grands « objectifs » (progrès, développement, croissance, bonheur…) sont donc tous tout aussi flous et difficilement quantifiables que la biodiversité. Si seules les valeurs quantifiables sont respectables, adieu beauté, émotions… Si un concept flou ne peut pas former un objectif important, alors adieu développement, démocratie, bonheur…

    Si on ne maximise pas la biodiversité, alors, combien doit on faire disparaitre d’espèces, au nom de quel objectif ? Par ailleurs, qui sommes nous pour décider des espèces qui auraient ou non le droit de disparaitre, et comment les choisir ? Sachant que jusqu’à présent nous avons toujours refusé de faire disparaitre les espèces les plus nuisibles à l’homme, trop contents de pouvoir les utiliser à des fins militaires…

    Maximaliser la biodiversité suppose dans sa formulation une action volontaire pour augmenter le plus possible la biodiversité. Hors il s’agit plutôt de minimiser les pertes. Par rapport à un médecin qui cherche à sauver un patient, il ne s’agit pas ici de chercher à le guérir, mais plutôt de limiter le nombre de membres qui vont être amputés en cherchant à éviter que la gangrène ne se propage au reste du corps…

    Par ailleurs, vu le caractère incomplet de notre connaissance de la biodiversité, il est de toute façon impossible de maximiser la biodiversité ou de comparer deux scénarii sur base du nombre de disparitions d’espèces associées.

    Pour le reste, il ne s’agit jamais que de considérations classiques sur les différences d’échelles (biodiversité à l’échelle locale ou globale) et des différences entre richesse spécifique, valeur patrimoniales…

    Par ailleurs je trouve particulièrement délicate l’affirmation selon laquelle « un groupe social minoritaire mais influent, les biologistes et les naturalistes, a des exigences plus élevées que le reste ». D’une part avec 28.000 personnes actives en agriculture, 100.000 propriétaires forestiers privés, on est jamais qu’à moins de 3 % de la population wallonne. Les sondages réalisés pour la foire de Libramont montre une population wallonne qui consacre à 80 % la fonction environnementale comme fonction principale en forêt et près d’une personne sur deux opposée à toute coupe d’arbre en forêt. Comparer le nombre de professionnels financés par la collectivité au lieu de partir des pourcentages au sein de l’opinion publique me semble intellectuellement malhonnête.

    Tout aussi intellectuellement incorrect est la correlation faite entre augmentation des surfaces protégées et disparition des espèces. Quand on sait par exemple que les surfaces urbanisées ont augmenté ces 20 dernières années à un rythme 10 fois supérieur à celui des aires protégées… Une simple correlation spatiale suffit à montrer ce qui explique le mieux l’état de notre patrimoine naturel.

    Les allégations sur les experts à la fois juges et partie me semble relever d’une confusion entre désintérêt et intérêt général. Un expert qui s’exprime au nom de l’intérêt général n’est en effet pas désintéressé. Sur la base du même raisonnement que JP Ledant, on peut reprocher aux experts du GIEC sur le climat de défendre leur bifteck en dénonçant le réchauffement climatique – cela a d’ailleurs été fait à un moment par des fondations finacées par les principaux groupes pétroliers. Et Gandhi, quand il militait pour l’indépendance de l’Inde, n’avait bien sur comme motivation que de pouvoir fournir un job de premier ministre à ses amis et aux membres de sa famille.

    Dans le cas de la surpêche qui menace les stocks de poissons, nous devrions donc laisser tranquillement les pêcheurs provoquer la disparition d’espèces de poissons, d’oiseaux… avant de disparaitre à leur tour ? Comment justifier celà ?

    Prennons pour terminer l’exemple, vécu, d’un forestier privé qui plante du douglas, élimine soigneusement toute espèce compagne, puis, 15 ans plus tard, coupe à perte une ligne sur deux en se rendant compte que ses douglas sont trop serrés. Au nom de quel concept clair et quantifiable son comportement est il justifiable ? Il y a t il par ailleurs une raison pour qu’il n’ai pas de compte à rendre sur les conséquences environnementales de ses actes ? Alors que les industriels ont intégrés les contraintes environnementales dans leurs activités, pourquoi les agriculteurs et les forestiers sont ils les derniers à accepter de le faire ? Eux ne se donnent guère la peine de justifier leur action. Ils provoquent la disparition de la biodiversité, mais ne se donnent guère la peine de justifier pourquoi ils sont en droit de le faire.

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