L’emploi et le taux d’emploi en équivalents temps plein – Des mesures plus pertinentes des « performances » nationales

Un des objectifs de la Stratégie Europe 2020 est d’assurer un taux d’emploi de 75% pour les 20-64 ans (cet objectif global est décliné pays par pays, par exemple 77% pour l’Allemagne et 73,2% pour la Belgique).La dernière note de l’Institut pour un Développement Durable s’intéresse à la concrétisation de cet objectif.Notons d’abord qu’en 2015 rares étaient les pays européens à avoir atteint le taux d’emploi attendu en 2020. L’avaient atteint et dépassé : l’Allemagne, l’Estonie, la Suède et la Lituanie. D’autres pays s’en approchaient, d’autres en étaient fort éloignés.

Les dernières Perspectives du Bureau fédéral du Plan annoncent que la Belgique n’atteindra pas son objectif, dans le cadre des hypothèses retenues en tout cas.

Dans un tel contexte il est tentant d’aller voir ce qui se passe dans d’autres pays, notamment pour y chercher des orientations politiques et des mesures opérationnelles qui sont supposées être plus efficaces et que la Belgique ferait donc bien d’adopter. L’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède servent donc souvent de « modèles » à suivre.

Démarche intéressante, certes, mais qui doit peut être relativisée sur base du raisonnement suivant : toutes choses égales par ailleurs, un taux d’emploi identique n’a pas le même impact sur la soutenabilité de la protection sociale en fonction du salaire moyen et/ou du temps de travail moyen. Autrement dit encore, de manière plus directe, créer des emplois à temps (très) partiel et dont le salaire horaire est inférieur à la moyenne – ce qu’on appelle par exemple « minijobs » pour qualifier certains emplois créés en Allemagne depuis les réformes Harz – augmente certes le taux d’emploi mais n’accroît pas, à due concurrence, la capacité de financement de la protection sociale. Cette critique souligne en tout cas la relativité de l’objectif européen ; en caricaturant un pays pourrait satisfaire l’agenda européen en donnant quelques heures de travail, même mal payées, à chacun de ses citoyens.

Commençons par mesurer les taux d’emploi en équivalents temps plein pour déterminer ce que devient le classement européen des performances en matière de taux d’emploi. Cette approche n’est pas non plus sans faiblesse. C’est ainsi, par exemple, qu’il n’est nullement garanti que certaines heures de travail ne « disparaîtraient » pas si certains horaires et/ou certains types d’aménagement du temps de travail étaient rendus impossibles. Mais la comparaison des taux d’emploi mesurés classiquement et des taux d’emploi en équivalents temps plein peut permettre de comprendre mieux les spécificités des marchés du travail nationaux.

L’écart entre une mesure de l’emploi basée sur le nombre de travailleurs à une mesure de l’emploi en équivalents temps plein dépend de
– la proportion de travailleurs à temps partiel
– le temps de travail moyen de ceux-ci en pourcentage du temps de travail moyen d’un temps plein
– le nombre d’heures de travail accomplies par les travailleurs qui ont un second emploi.
En court, il s’agit de calculer – c’est un calcul purement mécanique – ce que serait l’emploi si toutes les heures de travail étaient prestées par des travailleurs à temps plein.

Les différences entre pays sont énormes :
– la proportion de travailleurs à temps partiel s’échelonne de 2,2% en Bulgarie à 46,9% aux Pays-Bas (Belgique : 24,1%)
– un temps partiel représente en moyenne 44% d’un temps plein à Chypre et 62,7% en Roumanie (Belgique : 56,2%)
– 8,9% des suédois ont un second emploi mais seulement 0,4% des bulgares (en Belgique : 4,1%)
– la part du volume d’heures de travail total assurée par ces emplois est néanmoins relativement modeste : le maximum – en Norvège – est de 2,9%, le minimum – en Bulgarie – est de 0,2% (en Belgique 1,2%).

A partir de ces différentes informations on peut calculer un taux d’emploi en équivalents temps-plein.

Observations essentielles :
– trois pays, souvent vus comme « bons élèves », sur lesquels les projecteurs se sont souvent braqués ces dernières années, à savoir l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, enregistrent un écart très important entre le taux d’emploi en nombre d’emplois et le taux d’emploi en équivalents temps plein très élevé, l’écart le plus important étant observé aux Pays-Bas (-14,5 % !) ;
– trois autres pays observent un écart supérieur important, à savoir l’Autriche, le Danemark et la Norvège ;
– ces six pays où l’écart est le plus important sont aussi ceux qui sont dans le haut du « classement » pour ce qui est du pourcentage de jobs salariés à horaire (très) faible (moins de 15 heures/semaine).

A partir de ces résultats, le tableau suivant classe les pays en fonction de leur performance sur chacune des mesures du taux d’emploi.

Trois observations :
– le classement est assez bien bouleversé quand on mesure le taux d’emploi en équivalents temps-plein et l’écart entre les performances quelque peu resserré ;
– on notera en particulier le recul de la 3ième à la 9ième place de l’Allemagne, de la 4ième à la 8ième place du Royaume-Uni, de la 7ième à la 23ième place des Pays-Bas et de la 9ième à la 17ième place de l’Autriche ;
– la performance relative (et absolue) de la Belgique reste (très) médiocre ; en équivalents temps plein les taux d’emploi des Pays-Bas et de la Belgique sont identiques.Les résultats pour 2015 sont évidemment la résultante des évolutions passées. L’Institut pour un Développement Durable a également examiné l’évolution de l’emploi salarié et de l’emploi salarié en équivalents temps plein entre 2000 et 2014 pour la Belgique et une sélection de pays européens.Une conclusion forte ressort de cet exercice : antre 2000 et 2014 l’emploi salarié comme l’emploi salarié en équivalents temps plein a augmenté proportionnellement plus en Belgique qu’en Allemagne, qu’aux Pays-Bas et qu’au Royaume-Uni.

 Ces calculs sont des calculs mécaniques, à interpréter avec prudence, nul ne pouvant dire ce que  deviendraient les taux d’emploi si le travail à temps partiel et/ou les minijobs (à savoir des jobs –  principaux – avec peu d’heures de travail) devaient, toutes choses égales par ailleurs, être encouragés  ou au contraire découragés, implicitement ou explicitement. Quand à l’intérêt d’augmenter le taux  d’emploi en stimulant le recours (offre comme demande) à des emplois à temps partiel il varie  évidemment en fonction du positionnement sur l’échiquier politique. Une partie de l’acceptabilité de la création de tels emplois dépend évidemment de l’existence ou non de mécanismes de soutien au revenu (du travailleur ou du ménage dont il fait partie) et de la « générosité » de ceux-ci.En tout état de cause, les résultats de cette étude incitent à la prudence dans la comparaison des performances et dans les conclusions pour l’action. Les pays européens ont en effet des marchés du travail très hétérogènes, présentant chacun des traits qui plaisent ou pas, mais qui forment un équilibre national. Ceci dit, même si les « modes » des dernières années l’ont un peu oublié, le modèle suédois continue à générer d’intéressantes performances : un très haut taux d’emploi, quel que soit l’indicateur retenu, et une très courte durée effective du temps de travail. Et en même temps, comme quoi rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, un pourcentage très élevé de suédois – 8,9% – ont un second emploi.Voir la note jointe pour plus de développements. NB : Les annexes statistiques sont disponibles sur simple demande.

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