L’importance des travailleurs âgés et leur état de santé

Cette note de l’Institut pour un Développement Durable trouve son origine dans des constats fréquemment posés dans les médias sur le nombre de salariés qui partent ou doivent partir à la retraite dans les années à venir.

Un exemple : « La pénurie (de chauffeurs routiers) est essentiellement due à la pyramide des âges. Près de la moitié des chauffeurs ont plus de 50 ans de sorte qu’il y a des milliers de départs à la retraite chaque année. Certains choisissent de travailler plus longtemps pour autant que leur visite médicale les y autorise, mais ce n’est pas suffisant. Il manque actuellement quelque 5.000 chauffeurs en Belgique, le problème se posant en des termes identiques dans la plupart des pays. »

Cette note de l’IDD vise à quantifier l’importance relative et absolue des travailleurs âgés et à donner un aperçu de leur état de santé au travers de la proportion de salariés qui sont en invalidité.

Cet exercice se base sur le nombre de travailleurs, salariés (ONSS) et indépendants, à la date du 31.12.2021 et une estimation du nombre de salariés invalides à cette même date.

Les données utilisées sont disponibles ici.

Attention à l’interprétation

Trois remarques importantes pour l’interprétation des résultats qui suivent :

  • les données concernent les secteurs d’activité ; or, au sein d’un même secteur, les structures démographiques des travailleurs peuvent être différentes d’une entreprise à l’autre ou d’une administration à l’autre ou encore d’un métier à l’autre ;
  • la plus ou moins grande proportion de travailleurs âgés peut donner lieu à des lectures diverses (pas nécessairement exclusives) : dans certains cas, par exemple dans des secteurs/entreprises où la demande de main-d’œuvre est en retrait, il est plus facile d’amortir le choc avec une plus grande proportion de départs « naturels » (maladie de longue durée, mise à la (pré)retraite et/ou démission) ; même des secteurs/entreprises qui se portent bien peuvent « profiter » des départs « naturels » pour engager des profils plus pointus, aux compétences/connaissances plus à jour ; par contre, autre type de situation, dans les secteurs où il y a des pénuries, de trop nombreux départs « naturels » risquent de les rendre encore plus prégnantes ; enfin, une (plus) faible proportion de travailleurs âgés peut aussi résulter de départs naturels plus nombreux que dans d’autres activités/métiers/entreprises ;
  • enfin, les données utilisées ici ne disent rien sur les profils/compétences/métiers de ceux qui partiront bientôt ; illustration pour la santé : manque-t-on plus ou moins d’infirmiers.ières, d’aides-soignant.e.s, de technicien.ne.s, etc. ?

Les tendances

Le vieillissement de la main-d’œuvre est en route depuis longtemps, reflet du vieillissement démographique, mais aussi conséquence bienvenue de la montée en puissance de la participation des femmes sur le marché du travail ; c’est ainsi que la part des 50 ans et + dans l’emploi total est passé de 17% à 32% entre 1999 et 2020.

Deux évolutions internes aux travailleurs âgés méritent d’être rappelées : une augmentation – au cours de la même période – de la proportion de femmes (de 34 à 46%) et des âgés très qualifiés (de 27 à 41%).

Les résultats

Les travailleurs de 55 ans et + représentent 19% de l’emploi total ; c’est plus (23%) pour l’emploi indépendant ; l’emploi des 60-64 ans est proportionnellement plus important dans l’emploi des 55 ans et + chez les indépendants (40% contre 32% pour les salariés).

Il n’est pas possible, et ce n’est pas le but de cette note, de commenter en détail les données de chaque secteur (il y en a 250) ; on ne dispose d’ailleurs pas nécessairement des clés d’interprétation, qui peuvent parfois être très spécifiques.

Voici quelques commentaires néanmoins ; il y a 34 secteurs avec au moins 5.000 travailleurs et dont la part de l’emploi des âgés dans l’emploi total correspondant est supérieur à la moyenne pondérée (soit 19,4%) ;

  • ces secteurs ainsi sélectionnés représentent 49% du nombre total de travailleurs âgés
  • il y a quelques « poids lourds » dans la liste, notablement le secteur de l’Administration générale, économique et sociale (80.000 travailleurs âgés et 25% de l’emploi sectoriel) et le secteur des Activités hospitalières (47.000 emplois et 21% de l’emploi sectoriel) ;
  • la présence dans cette liste de certains secteurs est tout sauf étonnante : l’Administration générale comme déjà mentionnée mais également l’Administration de la sécurité sociale obligatoire (25,2% de travailleurs âgés), le secteur Culture et élevages associés (36%), divers secteurs de la santé dont les Activités des médecins et des dentistes (26%) les Activités de soins infirmiers résidentiels (23%), l’Action sociale sans hébergement pour personnes âgées et pour personnes avec un handicap moteur (27%) et les Transports routiers de fret et services de déménagement (27%) ; bref, l’agriculture, l’administration et les services aux personnes (y compris la santé) sont des secteurs plus « gris ».

Habitués à réfléchir de manière binaire, on en oublie trop souvent que des travailleurs peuvent à la fois être répertoriés dans les statistiques de l’emploi et dans les statistiques des personnes invalides (au sens de la législation INAMI). Ce sont, en l’occurrence, des travailleurs qui ont toujours un contrat de travail mais sont en maladie depuis plus d’un an.

La proportion de salariés en invalidité augmente avec l’âge, dépassant les 18% pour les 60-64 ans.

Pour donner une vue plus correcte de la situation, l’IDD a estimé le nombre d’invalides par secteur et pour les catégories d’âge 55-59 ans et 60-64 ans, secteurs privé et public confondus. Voici les pourcentages d’invalidité estimés par l’IDD.

On doit constater que le taux d’invalidité est particulièrement élevé dans les secteurs Construction de bâtiments résidentiels et non résidentiels (26% des 55-64 ans) et Action sociale sans hébergement pour personnes âgées et pour personnes avec un handicap moteur (24%).

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Cet exercice n’a pas d’autre ambition que de planter le décor en matière de vieillissement de la force de travail et, dans une certaine mesure, d’objectiver et de quantifier le ressenti qui émane d’organisations patronales ou syndicales.

Aller plus loin passe par des investigations plus fines et l’accès à des données non immédiatement disponibles comme, par exemple, le nombre d’invalides ayant quitté leur emploi par secteur d’origine.

Plus dans la note ici.

Philippe Defeyt

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