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Quelques données visant à alimenter le débat ouvert par le Ministre bruxellois de l’emploi sur le « modèle méditerranéen »

mardi, mai 30th, 2023

Bernard Clerfayt, le ministre bruxellois de l’emploi, a déclaré ceci sur le plateau de LN24 (14 avril 2023) : « Beaucoup de femmes sont encore dans un modèle méditerranéen, que ce soient des Italiens, Marocains ou Turcs d’origine. C’est un modèle familial où monsieur travaille et madame reste à la maison pour s’occuper des enfants ». Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a suscité un torrent de réactions.

La présente note de l’IDD vise à alimenter et à structurer une réflexion sur cette prise de position, avec des statistiques basées sur les données de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS) ; il ne s’agit donc pas de conclure à ce stade-ci une analyse forcément complexe tant elle nécessite d’activer des disciplines et approches différentes mais plutôt de proposer quelques clés de lecture permettant d’exclure des approches simplistes ou orientées.

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On constate d’abord (voir graphique ci-après) qu’en effet, le taux d’emploi des femmes vivant en couple avec enfant(s) d’une des trois « origines » méditerranéennes est plus faible que celui des femmes d' »origine » belge, ce qui ne constitue pas vraiment une surprise ; il est particulièrement faible pour les femmes d’ »origine » maghrébine (31% pour les 25-64 ans).

Voici quelques clés de lecture :

  • Il faut d’abord interpréter avec prudence les « origines » (dans cette note le mot a été placé systématiquement entre guillemets pour cette raison). D’abord, parce que la définition de la BCSS peut donner lieu à de multiples configurations en ce qui concerne les « origines ». Ensuite, parce que d’autres indicateurs sur les « origines » sont possibles. Enfin, les « origines » ne peuvent d’évidence pas tout expliquer.
  • Des écarts semblables sont observés, même s’ils sont moindres, dans d’autres types de ménages (couples sans enfants, ménages monoparentaux, personnes isolées), donnant a minima une portée limitée à l’hypothèse d’une explication centrale du genre « modèle méditerranéen » (sous-entendu : femme en couple avec enfant(s) qui « reste à la maison »).
  • Les taux d’emploi des hommes vivant en couple avec enfant(s) sont également moindres pour ceux d' »origine » méditerranéenne, même si les écarts (par rapport aux personnes d' »origine » belge) sont moins importants que chez les femmes.
  • Les taux d’emploi et les écarts entre ceux-ci compte tenu de l' »origine » peuvent varier aussi en fonction du contexte régional/local ; c’est ainsi, par exemple, que le taux d’emploi des femmes d’origine maghrébine est en absolu et en termes relatifs meilleur en Flandre et en Wallonie qu’à Bruxelles.
  • Les situations ne sont pas figées : des progrès absolus et relatifs en matière de taux d’emploi des femmes d' »origine » méditerranéenne ont été enregistrés entre 2010 et 2021, en particulier pour les 50-64 ans.
  • Les écarts (« origines » méditerranéennes / « origine » belge) sont moins importants pour ce qui concerne le taux d’activité, ce qui implique que les taux de chômage sont plus importants pour les femmes d' »origine » méditerranéenne. On observe, pour certaines situations, des taux de chômage très élevés.
  • Enfin, on sait que, d’une manière générale, les taux d’activité et les taux d’emploi sont aussi influencés par le niveau d’études. Or, tout indique que les populations d' »origines » maghrébine et turque ont une structure en termes de formation moins favorable pour ce qui est de l’insertion sur le marché du travail.

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Comme dit d’emblée, les données présentées et commentées dans la note de l’IDD ne permettent pas de faire le tour de la question. Les différences de taux d’activité, de taux d’emploi et de taux de chômage constatées entre les femmes en couple avec enfant(s) suivant leur « origine » sont le résultat de nombreux facteurs dont font partie : les discriminations liées à l' »origine » (établies par ailleurs), les niveaux d’études, les proportions de femmes dépendantes des CPAS et le dynamisme plus ou moins marqué du marché de l’emploi local, tous facteurs qui jouent a priori en défaveur des femmes d' »origine » méditerranéenne à Bruxelles.

Il y a d’autres facteurs explicatifs des différences, mais les données me semblent manquer pour les repérer et les quantifier ; d’autres disciplines (sociologie, anthropologie…) doivent aussi être mobilisées pour essayer d’y voir plus clair.

En attendons, rappelons qu’il y avait à Bruxelles, en décembre 2021, 6.000 femmes en couple avec enfant(s) d' »origine » méditerranéenne (dont 2.200 non indemnisées par l’ONEM) qui étaient demandeuses d’emploi ; si elles avaient eu un job, les taux d’emploi des femmes d' »origine » maghrébine et turque se seraient situés au même niveau qu’en Flandre.

La note est disponible ici et l’annexe statistique ici.

Philippe Defeyt

Les pièges à l’emploi : le nÅ“ud du problème n’est pas la fiscalité

jeudi, décembre 1st, 2022

Combien de fois n’entend-on pas des interventions plus ou moins nuancées pour évoquer ce que les économistes appellent les « pièges à l’emploi » (ou encore pièges à la pauvreté) ? Cela va depuis le commentaire de comptoir « Chômer rapporte plus que d’aller travailler » jusqu’à la proposition plus sophistiquée qu’il faut « augmenter la quotité exonérée à l’IPP pour accroître le différentiel entre le salaire net et l’allocation de chômage ».

Cette analyse de l’IDD vise à faire le point sur cette réalité que le gain financier net d’accepter un travail ou de travailler plus d’heures est parfois faible, voire négatif. On fera d’emblée remarquer que l’évolution nette du niveau de vie en cas de retour à l’emploi peut être mesurée au niveau individuel du chômeur qui retrouve un job comme au niveau de son ménage.

On parle d’évolution nette parce qu’il faut évidemment intégrer dans le calcul diverses dépenses liées à l’exercice d’un travail (essentiellement les frais professionnels non remboursés et d’accueil pour les enfants) mais aussi, on l’oublie trop souvent, la perte, le cas échéant, d’aides ou de prestations sociales, dans le chef de celui qui (re)trouve un emploi comme dans celui d’un autre membre du ménage.  

Voici les principales conclusions des simulations et réalités explorées dans cette analyse de l’IDD.

Mensualiser le revenu annuel net « augmente » de manière visible les écarts entre l’allocation de chômage et le revenu disponible issu d’un retour à l’emploi dans la mesure où les comparaisons se font en général avec le salaire mensuel net, sans tenir compte de l’apport du 13ième mois et du double pécule de vacances. En tout état de cause, il faut faire évoluer le système traditionnel de rémunération de telle manière à mensualiser le revenu annuel pour mieux faire apparaître l’écart réel des revenus du travail par rapport aux allocations sociales ; cette seule réforme permettrait d’assainir le débat et d’éviter une vision réductrice du salaire net apporté par un emploi.

Si le retour à l’emploi se fait aux conditions salariales de l’emploi précédent le chômage, le gain de revenu disponible est conséquent – il se chiffre en plusieurs centaines d’euros par mois – en particulier quand on compare l’allocation de chômage avec le net annuel mensualisé. A première vue il n’y a donc pas, dans ce cas, de piège à l’emploi.

Mais si on tient compte des frais de déplacement et, le cas échéant, des frais pour l’accueil des enfants et/ou de la perte d’avantages sociaux, le gain en niveau de vie peut, dans certaines circonstances, se réduire à pas grand chose, voir être négatif.

En outre, et c’est le cÅ“ur du problème des pièges à l’emploi, un chômeur peut être amené à accepter un job avec un salaire moins élevé que celui dont il bénéficiait précédemment. En principe, le salaire brut peut descendre jusqu’au niveau où la somme du salaire net et des frais de déplacement est au moins égale à l’allocation de chômage ; quand il y a des enfants à charge, il faut tenir compte aussi des allocations familiales (qui peuvent varier en fonction de la hauteur des revenus du ménage) ; quand l’emploi possible est à temps partiel, il faut aussi tenir compte, le cas échéant, de l’allocation de garantie de revenus (AGR).

Toutes choses égales par ailleurs, l’ampleur du piège à l’emploi augmente quand le nouveau salaire proposé s’éloigne – vers le bas – du salaire précédent. Il semble qu’il n’existe pas de données qui permettent de comparer les salaires des chômeurs qui retrouvent un job avec ceux dont ils disposaient avant de perdre leur emploi. C’est une recherche qui doit être lancée pour déterminer le nombre de personnes réellement affectées par un piège à emploi et mesurer les écarts réels entre le niveau de vie après le retour à l’emploi et l’allocation de chômage.

Une augmentation de la quotité exonérée d’impôt est souvent mise en avant comme la solution du problème ; une telle mesure

  • accroît certes le différentiel salaire net – allocation, mais ce n’est pas indispensable dans certaines configurations, en particulier quand le salaire du nouvel emploi est égal à celui de l’emploi précédent ;
  • ne compense qu’en partie les coûts et pertes liés à la reprise du travail ; 
  • ne change rien ou pas grand chose pour les tout petits salaires ;
  • pèse peu pour tous ceux dont le véritable piège à l’emploi est un piège « administratif » lié à d’incessants allers-retours emploi – chômage pour des jobs de courte durée (interruptions de l’indemnisation, recalculs d’allocations…) ;
  • permet, le cas échéant, de diminuer encore plus le salaire mensuel brut considéré comme « convenable » (pression vers le bas sur les salaires) ;
  • accorde un avantage à tous les travailleurs, même ceux qui sont très à l’aise, qui ne sont en rien concernés par d’éventuels pièges à l’emploi.

D’autres solutions, moins coûteuses et plus efficaces parce que ciblées, permettraient de résoudre les problèmes là où il y en a :

  • transformer les réductions d’impôt essentielles, en particulier celles pour les enfants à charge, en crédits d’impôt immédiatement et intégralement remboursables ; si on devait décider d’une augmentation de la quotité exonérée d’impôt, ce serait bien de transformer celle-ci en crédit d’impôt de ce type ;
  • atténuer l’effet de seuil en matière de tarif social (ce qui nécessite une réforme plus globale des dispositifs d’intervention sociale en matière d’énergie) ; en attendant, une partie de la perte ne pourrait-elle pas être intégrée dans la détermination d’un salaire « convenable »Â ; 
  • améliorer et simplifier le dispositif de l’allocation de garantie de revenus ;
  • tenir compte d’autres dépenses (ex : les frais de garde d’enfant(s)) – le cas échéant sous forme forfaitaire – pour déterminer si le salaire lié à un emploi peut être considéré comme « convenable »Â ;
  • mieux aider les mamans avec de jeunes enfants et de faibles revenus – particulièrement concernées par les pièges à l’emploi – en matière de disponibilité de dispositifs d’accueil d’enfant(s) et de leur accessibilité financière ;
  • mieux précompter les allocations de chômage, sans modifier le revenu final d’un chômeur, devrait ici aussi mieux visibiliser le véritable écart de revenus ;
  • imposer des contrats de travail corrects ; par exemple, seul un emploi d’au moins un tiers temps, comportant des journées de travail d’au moins trois heures, devrait être considéré comme convenable.

Des mesures qui ont principalement d’autres motivations, comme l’individualisation des droits sociaux, peuvent aussi contribuer à réduire les pièges à l’emploi.

Dans la « vraie vie », il y a de nombreux autres paramètres dont il faut tenir compte en matière de pièges à l’emploi. En voici quelques-uns (liste complète dans la note) :

  • le recours croissant à des formes de rémunération autres que le salaire proprement dit peut modifier le différentiel niveau de vie – allocation ;
  • la perte du statut BIM signifie aussi la fin d’autres avantages sociaux (tarifs réduits pour les soins de santé, réductions sur les transports en commun, réductions de taxes locales) qui peuvent compter beaucoup pour certains ménages ;
  • pour des personnes endettées, la totalité du revenu supplémentaire peut partir en remboursement de la dette ;
  • l’augmentation du loyer social absorbe une partie de la hausse du revenu du ménage tout comme l’augmentation de la participation financière des parents pour les frais de crèche ;
  • il peut aussi y avoir un impact sur les allocations d’études ;
  • etc.

Trois conclusions politiques majeures : en matière de pièges à l’emploi

  • il faut évidemment réfléchir en niveau de vie du ménage (qui tient compte de la totalité des impacts de la (re)mise à l’emploi) et pas seulement en revenus nets ;
  • au total, la fiscalité n’apparaît pas comme le nÅ“ud du problème ; d’autres dimensions ont un impact plus significatif sur l’écart entre le niveau de vie après la reprise d’un emploi et l’allocation de chômage ; on pense en particulier aux situations où il y a perte d’avantages sociaux et/ou le nouveau salaire est (beaucoup) plus faible que le salaire précédent ; l’émergence de la question énergétique et l’avantage très important apporté par le tarif social oblige à intégrer cette dimension dans la réflexion sur les pièges à l’emploi ;
  • il y a trop d’études sur les pièges à l’emploi – et cette analyse n’échappe pas à cette critique – qui se basent sur des situations types, souvent épurées ; mais on manque cruellement de données sur les personnes/ménages réellement concernés, sur l’ampleur des pièges à l’emploi et sur les multiples mécanismes et dispositifs concrets qui, dans chaque situation, créent véritablement le piège à l’emploi éventuel ; il faut plus documenter cette réalité, pas l’analyser seulement au travers de prismes souvent tronqués ou réducteurs.

Reste une question de fond, essentielle : « combien est assez ? » ; autrement dit, que l’on renonce à un job ou qu’on l’accepte, quelle différence de niveau devie est-elle jugée juste, suffisamment incitative ? La réponse varie certainement d’une personne à l’autre, d’une situation à l’autre. On peut, par exemple, supposer qu’une différence « correcte » aura moins d’attrait, toutes autres choses égales par ailleurs, si c’est un job de 15 jours ou s’il est à durée indéterminée. Des observations de terrain montrent très clairement que la différence allocation – salaire net n’est pas la seule motivation, loin de là. Mais, quoi qu’il en soit, laisser des personnes ou ménages en reprise d’emploi avec un niveau de vie dégradé ou que marginalement amélioré est inacceptable ; c’est une fabrique à ressentiment.

Plus dans la note ici.

Philippe Defeyt

 

Pauvreté, logement et énergie – Un nouveau regard sur la pauvreté et les inégalités

samedi, août 27th, 2022

Cette note a pour objectifs d’actualiser, d’approfondir et de synthétiser diverses réflexions de l’IDD sur la pauvreté, le logement et l’énergie et d’articuler ces trois dimensions, au cÅ“ur des débats socio-politiques de l’heure.

Pour commencer, l’IDD a établi deux budgets de référence : pour une personne isolée et pour une maman seule avec 2 jeunes enfants ; ces configurations de ménages ont été sélectionnées parce que beaucoup de ménages pauvres sont dans une de ces deux situations.

LES BUDGETS DE RÉFÉRENCE

« Les budgets de référence apportent une réponse à la question de savoir de quel revenu minimum une famille donnée a besoin pour pouvoir participer pleinement à la société ». Par définition, et c’est là un des avantages majeurs de cette approche, ces budgets dépendent d’une situation à l’autre (en bonne santé ou pas, logement social ou pas, tarif social pour l’énergie ou pas…).

Commençons par des situations « simples : les ménages sont locataires dans le secteur privé, ils sont en bonne santé, ils ne travaillent pas et ils n’ont pas besoin d’une voiture pour se déplacer ; voici quelques budgets de référence calculés par l’IDD pour juin 2022 (montants arrondis à la dizaine) pour diverses configurations de logement et d’énergie.

Deux constats essentiels :

  • entre le budget de référence le plus petit (variante : tarif social pour l’énergie et loyer social) et le plus élevé (variante : prix de l’énergie du marché – situation qui pouvait être rencontrée avant février 2021 – et loyer privé), la différence est, en 2022, de 550 €/mois pour une personne seule et de 710 €/mois pour le ménage monoparental ; or ces deux situations extrêmes sont considérées de la même manière dans l’approche européenne du taux de pauvreté (seuil de pauvreté = 60% du revenu médian) !
  • l’accès au tarif social pour l’énergie permet à une personne seule avec un loyer privé d’économiser 120 €/mois ; l’économie est de 180 €/mois pour une maman solo avec 2 enfants.

BUDGET DE RÉFÉRENCE, SEUIL DE PAUVRETÉ ET REVENU D’INTÉGRATION

Le tableau suivant permet de constater que :

  • le budget de référence est supérieur au seuil de pauvreté pour les ménages qui sont locataires dans le secteur privé mais inférieur au seuil de pauvreté pour les ménages bénéficiant d’un loyer social
  • le budget de référence est très nettement supérieur au revenu d’intégration pour les ménages qui sont locataires dans le secteur privé mais proche du revenu d’intégration pour les ménages bénéficiant d’un loyer social.

ENSEIGNEMENTS

Rappelons d’abord que les montants cités ci-dessus dépendent étroitement des hypothèses retenues . Or, on sait, par exemple, que les loyers sont à Bruxelles supérieurs à ce qu’ils sont à Namur, que les quantités d’énergie consommées varient en fonction de nombreux paramètres, etc. D’autre part, n’ont été étudiés ici que les budgets de référence d’un adulte vivant seul ou d’une maman solo avec 2 jeunes enfants.

On peut néanmoins penser que, d’une manière générale, les budgets de référence pour les ménages locataires dans le secteur privé sont supérieurs au seuil de pauvreté relatif, surtout s’ils ont à faire face à des dépenses liées à l’exercice d’un emploi et/ou se chauffent au mazout et/ou ont de graves problèmes de santé et/ou ont un ou plusieurs enfant(s) dans l’enseignement supérieur ; dans tous les cas, les budgets de référence sont aussi supérieurs au revenu d’intégration.

Si on considère maintenant les personnes vivant seules et les mamans solo qui bénéficient d’un logement social et se chauffent au gaz, le budget de référence est proche du montant du revenu d’intégration (additionné des allocations familiales pour la maman seule) si l’adulte ne travaille pas et n’utilise pas de voiture.

Bien sûr, dès que d’autres dépenses incontournables s’ajoutent (par exemple la nécessité d’un véhicule à moteur pour un ménage habitant une zone mal ou pas desservie par les transports en commun), le budget de référence s’en trouve augmenté d’autant.

Inversement, la mise en place de mesures visant à réduire le coût de l’énergie ont permis, en 2022, de réduire le budget de référence d’autant.

Tout ceci confirme que choisir, pour mesurer la pauvreté, un indicateur de redistribution des revenus revient à

  • ignorer les vécus différents (logement social ou pas, chauffage au gaz ou au mazout…) ;
  • confondre revenu et niveau de vie ; un même revenu ne procure pas un même niveau de vie ;
  • faire croire qu’on peut répondre de manière identique à des situations différentes ;
  • préférer la facilité à la complexité.

C’est ce que démontrent à l’envi les données et analyses de cette Brève. C’est d’autant plus le cas que l’accès ou pas au tarif social pour l’électricité et le gaz fait une différence qui se chiffre – dans beaucoup de situations – à plus de 1.000 €/an, voire plus de 2.000 €/an, et que l’accès à un logement social procure un avantage relatif croissant.

C’est vrai, définir un budget de référence est sociétalement et politiquement plus compliqué (c’est quoi un besoin ?, c’est quoi une vie conforme à la dignité humaine ?, c’est quoi participer pleinement à la société…) ; c’est même très touchy, parce que cette approche interroge plus profondément encore les inégalités (comment justifier, par exemple, que des enfants n’aient pas les outils numériques dont ils ont besoin ou qu’un ménage bénéficiaire d’un logement social et du revenu d’intégration ait un niveau de vie nettement supérieur à un autre bénéficiaire du revenu d’intégration mais qui doit louer son logement aux prix du marché ?) que les inégalités de revenus. Mais adopter une telle approche permet de mieux comprendre les inégalités des situations et de construire une politique de revenus plus efficace, parce que tenant compte de différences objectives.

A minima, on imagine mal – sur base des constats de cette étude – qu’on puisse revenir sur l’extension du tarif social à tous les revenus précaires et qu’on ne développe pas des aides au logement pour combler la différence de pouvoir d’achat découlant de l’écart entre les loyers privés et les loyers sociaux.

D’AUTRES APPORTS

Chemin faisant, cette Brève de l’IDD apporte diverses informations originales, en particulier l’évolution depuis 2010 de l’augmentation du pouvoir d’achat apportée par l’accès au tarif social et à un logement social. Cette évolution est illustrée pour la situation d’une maman solo avec 2 jeunes enfants à Namur (mais on peut penser que les loyers sont à Namur proches d’une moyenne nationale).

Plus dans la note ici.

Philippe Defeyt

De la nécessaire indexation des barèmes fiscaux

samedi, juillet 2nd, 2022

Compte tenu de l’augmentation soutenue des salaires bruts entre 2021 et 2022 (+6% environ), la relativement faible indexation des tranches d’imposition au début de 2022 (+2,44%) a conduit à une érosion marquée des salaires nets au cours de l’année. Cette situation a contribué à une perte de pouvoir d’achat, notamment pour la catégorie des revenus les plus faibles, malgré le fait que les salaires soient automatiquement indexés.

Afin de corriger cette situation, le groupe d’experts sur le pouvoir d’achat et la compétitivité à proposé (juin 2022) d’indexer au 1er juillet les tranches d’imposition relatives au précompte professionnel sur les revenus du travail, afin d’aligner autant que possible l’évolution des salaires bruts et nets et d’améliorer ainsi le revenu net.

Cette mesure permettrait de restaurer rapidement du pouvoir d’achat, y compris pour la classe moyenne inférieure, et ce, dans un cadre connu (on ne fait qu’appliquer en cours d’année ce qui se fait chaque année au début de l’année).

Pour éviter que l’amélioration du pouvoir d’achat au cours du deuxième trimestre de 2022 ne soit « récupérée » au moment de l’enrôlement, il est bien sûr nécessaire d’adapter également les paramètres de calcul de l’impôt final ce qui permettra aux indépendants de bénéficier d’une réduction d’impôt équivalente (en tout cas lors de l’enrôlement).

Le texte disponible ici détaille l’analyse et la proposition.

A votre disposition.

Philippe Defeyt

Les prix des consommations énergétiques des ménages : une perspective de long terme

lundi, février 21st, 2022

Cette analyse de l’Institut pour un Développement Durable vise à mettre en perspective les évolutions de long terme des prix des consommations énergétiques des ménages.

Avec l’aide précieuse de StatBel, l’IDD a réussi à reconstituer

  • quatre séries de prix à partir de 1920 : charbon, électricité, gaz et indice des prix à la consommation (IPC)
  • deux séries de prix à partir de 1970 : carburants routiers et mazout de chauffage
  • l’évolution du revenu disponible moyen (à prix courants) à partir de 1950

et à estimer l’évolution des poids respectifs des consommations énergétiques pour la période 1970-2022.

C’est la période 1970-2022 qui permet l’analyse la plus dense, puisqu’on dispose de toutes les informations utiles. Voici quelques évolutions essentielles :

Le graphique ci-après montre que, tout au long de la période 1970 et 2022 (janvier), l’évolution de moyenne des prix énergétiques relativement à l’évolution du revenu disponible s’est toujours située en-dessous du niveau de 1970, à l’exception du début des années 1980. Le minimum se situe en 1995 (environ à mi-chemin du parcours) ; depuis lors les prix énergétiques évoluent – en moyenne – tendanciellement plus vite que le revenu disponible ; en 2022 le niveau est encore quelque peu inférieur à la référence de 1970 (indice 96 versus indice 100).

On peut présenter les choses autrement, en calculant l’évolution du pouvoir d’achat énergétique. Le graphique ci-après montre que, tout au long de la période 1970-2022, le pouvoir d’achat énergétique a été supérieur à celui de 1970, à l’exception du gaz en 1982-1985 et en 2022 et, plus faiblement, des carburants routiers au début des années 80 et en 2012. Par exemple, en 2007, un revenu moyen permettait de dépenser 2,6 fois plus pour l’électricité qu’en 1970 ; depuis lors le pouvoir d’achat électrique est en net recul. Le pouvoir d’achat du gaz est au début de 2022 en retrait par rapport à 1970.

La note (disponible ici) examine plus avant les évolutions absolues et relatives des prix énergétiques, y compris, là où c’est possible, pour la période 1920-2022. NB : La note est une version corrigée – les corrections sont surlignées en magenta.

J’ai bien conscience qu’il s’agit d’une première étape ; cette analyse ouvre la porte à d’autres questionnements : quel est la part de la dynamique des prix attribuable aux évolutions de la fiscalité et d’autres prélèvements, comment ces évolutions des prix ont-elles joué dans les comportements de consommation, etc., etc. ?

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Ce travail a-t-il du sens ? Modestement, je pense que oui.

Il y a d’abord un intérêt scientifique. Ce genre de travaux peut intéresser, par exemple, des historiens ; mais il peut aussi éclairer les économistes : les évolutions relatives des prix énergétiques sont étroitement articulées à la dynamique de la croissance économique.

Il y a deux préoccupations plus immédiates éclairées par cette analyse :

  1. La nécessité d’adapter les mécanismes d’aides à chaque type d’énergie, afin d’assurer une équité entre ménages ; en matière de chauffage en particulier, on voit bien que les prix du mazout (qui est souvent un choix par défaut) et du gaz n’évoluent pas de la même manière.
  2. L’indispensable réflexion sur l’évolution des prix après la probable décrue des tensions ; un scénario comme dans la seconde moitié des années 1980 – on a laissé filer les prix – ou un choix de prix élevés pour construire une transition énergétique à la hauteur des enjeux climatiques ? Permettez-moi de penser, aujourd’hui en tout cas, que la première option est la plus probable.

Le lecteur intéressé pourra accéder à la banque de données ici.

Philippe Defeyt

 

Verdissement de la politique agricole : opposer la viabilité économique et la durabilité environnementale passe à côté du débat principal

lundi, février 7th, 2022

L’Institut pour un Développement Durable a le plaisir de publier une réflexion d’Olivier Lefebvre sur le verdissement de la politique agricole.

L’opposition apparaît frontale entre viabilité économique et préservation de l’environnement. Les échanges sont durs, chargés d’émotions bien compréhensibles entre ceux qui défendent la planète pour le bien de leurs enfants, et ceux qui se débattent au quotidien pour se maintenir à flot.

Toutefois en y regardant de plus près, il semble qu’opposer la viabilité économique et la durabilité environnementale passe à côté du débat principal. Dire qu’il faut changer la politique agricole pour la verdir, n’est que partiellement vrai. Il faut la changer parce qu’elle est globalement dans une impasse.

Plutôt que d’opposer économie et environnement, de manière assez stérile et en partie non fondée, il y aurait lieu de construire ensemble une véritable vision stratégique à l’échelle de la Région dans le contexte européen en évolution, en vue d’une agriculture durable et résiliente dans ses aspects économiques, sociaux, environnementaux et alimentaires.

Seule une approche holistique de la fourche à la fourchette, peut produire une telle vision qui soit à la fois robuste et inclusive. Il s’agit d’un changement de paradigme au moins aussi important que celui qui a fait passer l’agriculture paysanne à la révolution verte au milieu du 20ième siècle. Ce changement de paradigme à l’échelle des fermes, mais aussi des filières de transformation et de commercialisation, du développement des circuits courts… va demander un accompagnement important des acteurs, et, à l’instar d’autres secteurs, une réorientation majeure des investissements et des qualifications.

Voir la note ici.

Hausse des prix : un peu de recul permet de mettre en perspective certaines évolutions récentes

mercredi, septembre 29th, 2021

L’inquiétude quant à l’évolution des prix – énergétiques et autres – semble monter, au point d’arriver à des commentaires exagérés, notamment sur les prix des carburants routiers.

Pour éclairer le débat, l’IDD propose 4 graphiques.

NB : A l’exception du PIB par tête, les données pour 2021 sont celles de septembre.

1. Le premier graphique rappelle les taux d’inflation depuis 1970.

L’inflation actuellement enregistrée est très loin des « records » établis lors et à la suite des chocs pétroliers de la première moitié des années 70 et au début des années 1980.

2. Le second graphique compare les évolutions respectives du PIB par tête (à prix courants) et les prix des carburants routiers depuis 1970. On constate que

– sur le long terme le le PIB par tête (à prix courants) a augmenté beaucoup plus que les prix des carburants routiers

– les prix des carburants routiers sont en septembre revenus à leur niveau de 2012 (maximum historique).

3. Le 3ième graphique mesure l’évolution du rapport entre le PIB par tête et les prix des carburants routiers. Quand la courbe augmente cela signifie que les carburants deviennent relativement meilleur marché ; c’est l’inverse quand la courbe recule, ce qui est tendanciellement le cas depuis 2016. Néanmoins, une unité de PIB permet toujours d’acheter plus de carburants qu’en 1970 ou qu’en 2012. En tout état de cause la hausse récente des prix des carburants routiers n’a rien de comparable au choc énergétique du début des années 1980.

4. Le 4ième graphique fait le même genre de comparaison pour la période 2006-2021 pour le gaz et l’électricité. Si le prix relatif (versus le PIB par tête) du gaz est revenu à son niveau de 2006, on constate par contre une dégradation tendancielle pour ce qui est du prix de l’électricité. Celle-ci a été très marquée entre 2014 et 2016.

Philippe Defeyt

Le cumul de pensions de régimes différents

mardi, août 31st, 2021

Dans la perspective du débat sur les pensions, la Brève n°55 de l’IDD se penche sur le cumul de pensions de régimes différents.

La population prise en considération dans cette note est l’ensemble des pensionnés de 65 et +, bénéficiaires d’au moins une pension, de retraite ou de survie, dans un des trois régimes (salariés, indépendants et fonctionnaires) et vivant en Belgique à la date du 31 décembre 2018.

Au total, la population étudiée est de 1.916.000 pensionné.e.s.

LE CUMUL DE PENSIONS DE RÉGIMES DIFFÉRENTS

Premier et principal constat : 38% des pensionnés cumulent des pensions de 2 ou 3 régimes différents. Chez les femmes de 80 ans et +, cette proportion est de 45%.

Un peu plus de 2% des pensionné.e.s ont une pension (au moins) dans chacun des trois régimes.

On notera encore que 42% des personnes qui ont (au moins) une pension de salarié.e cumulent des pensions de 2 ou 3 régimes différents ; mais 90% des personnes qui bénéficient (au moins) d’une pension d’indépendant.e et 64% des personnes qui bénéficient (au moins) d’une pension de fonctionnaire sont dans ce cas.

Ces constats rendent totalement décalés, sociologiquement et politiquement, les discours centrés sur les statuts, en opposant les uns aux autres. Pour donner un exemple en lien avec certaines déclarations politiques récentes, il est certain que beaucoup d’indépendants sont concernés par la manière dont on valorise les années de chômage dans le calcul de la pension de retraite.

Ces constats renforcent aussi l’idée d’instaurer un régime unique de pensions, avec les mêmes règles pour tou.te.s.

D’AUTRES CUMULS

Les données utilisées par l’IDD permettent aussi d’éclairer d’autres réalités : l’activité professionnelle des pensionnés et le recours à la GRAPA.

6% des pensionné.e.s ont gardé une activité professionnelle. La proportion d’actifs décroît avec l’âge, c’est compréhensible, et est supérieure parmi les hommes que parmi les femmes, à tous les âges. 15% des hommes de 65-69 ans ont gardé une activité professionnelle.

Les bénéficiaires d’une pension d’indépendant.e (au moins) sont proportionnellement beaucoup plus nombreux à continuer à travailler.

4,5% des pensionnés ont des revenus à ce points faibles qu’ils peuvent prétendre à bénéficier de la GRAPA, en l’occurrence partiellement puisque ils/elles ont d’autres revenus (pensions et/ou autres). Les femmes sont plus souvent dans cet état de précarité que les hommes, à tous les âges.

Certaines catégories de pensionné.e.s sont plus concernées que d’autres. C’est ainsi, par exemple, que 13% des femmes de 80 ans et + qui ne touchent qu’une pension de retraite recourent à la GRAPA.

Plus dans la note ici.

Philippe Defeyt.

Les dépenses de santé par âge : dynamiques 2002-2018

samedi, août 7th, 2021

Le vieillissement de la population belge est fréquemment associé à une augmentation des dépenses de santé. C’est en effet le cas, mais encore faut-il bien comprendre les mécaniques à l’œuvre.

La Brève n°53 de l’IDD se penche sur cette question.

S’appuyant sur les données des dépenses de 2002 et 2018 rendues comparables, la principale conclusion de l’analyse est que la dépense de santé moyenne par jour des personnes âgées a augmenté moins que celle des 0-64 ans. C’est ce que montre le tableau suivant : alors que la dépense moyenne, hommes et femmes confondus, a augmenté de 55% pour les 0-64 ans, elle n’a augmenté « que » de 39% pour les 65 ans et +. L’écart d’évolution est plus marqué pour les femmes.

Une autre manière de mettre en évidence cette évolution différenciée est de comparer les courbes des dépenses par âge de 2002 avec celle de 2018. On constate en effet sur le graphique suivant que la courbe des dépenses par âge se tasse au-delà de 65 ans entre 2002 et 2018, particulièrement aux âges avancés.

Ce double constat ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut pas s’inquiéter de l’impact du vieillissement sur les dépenses de santé. Mais il ne faut pas confondre la croissance du nombre de personnes d’un tel âge, disons 75 ans, et l’évolution de l’état de santé moyen des personnes de 75 ans ; il faut tenir compte des deux facteurs et isoler les impacts respectifs. En tout état de cause l’état de santé ressenti par les personnes âgées s’est amélioré entre 2001 et 2018 comme le montre le tableau suivant (même s’il faut être prudent pour lier, sans plus, la moindre augmentation des dépenses de santé à l’amélioration de la santé subjective).

Chemin faisant, l’analyse de l’IDD met en évidence deux évolutions intéressantes.
La première c’est que la proportion de jours passés en maison de repos ou en maison de repos et de soins par les 65 ans et + est restée globalement stable entre 2002 et 2008, comme l’indique  le tableau suivant ; mais elle baisse pour les 70-94 ans. Exemple de lecture : dans l’ensemble des jours vécus en 2018 par les 85-89 ans, 16,5% des jours l’ont été par des personnes vivant en MR(S) ; c’était 23,8% en 2002.

L’autre évolution c’est la baisse de la proportion de personnes de 65 ans et + qui bénéficient du statut BIM (= bénéficiaires de l’intervention majorée = remboursement plus avantageux des soins de santé) alors que cette proportion augmente pour les 0-64 ans.

Plus dans la note téléchargeable ici.

Philippe Defeyt

Les conséquences inattendues d’un relèvement du revenu d’intégration

lundi, avril 26th, 2021

Le Soir a publié le 26-04-2024 une carte blanche rédigée par Ricardo Cherenti et Philippe Defeyt intitulée : Les conséquences inattendues d’un relèvement du revenu d’intégration

Les données et calculs qui soutiennent l’argumentation sont disponibles ici