La montée en puissance des énergies fossiles non conventionnelles reste, en Belgique en tout cas, largement méconnue. Ses conséquences potentielles le sont donc aussi.
La dernière publication de l’Institut pour un Développement Durable pour ambition de contribuer à susciter une prise de conscience plus large qu’aujourd’hui et d’alimenter un débat public qui tarde à s’épanouir comme il le devrait au vu de l’importance des enjeux.
Qu’appelle-t-on énergies fossiles non conventionnelles ?
Même si la typologie n’est pas totalement stabilisée ni identique d’une source à l’autre, on peut considérer qu’on appelle énergies fossiles non conventionnelles les principales sources suivantes :
Pétrole : pétrole de schiste, pétrole issu de sables bitumeux et autres pétroles extra-lourds, produits issus de la transformation du charbon, du gaz et de la biomasse (biocarburants).
Gaz : gaz de schiste (shale gas), gaz de houille (coal bed methane), dont l’appellation traditionnelle est grisou, gaz (de réservoir) compact ou gaz de réservoirs étanches (tight gas), catégorie aux limites floues avec le gaz de schiste et le gaz conventionnel et hydrates de méthane, source non exploitée à ce jour.
Si on ajoute aux sources non conventionnelles déjà exploitées et potentielles la mise en exploitation du continent arctique et l’extension des forages en haute mer, l’offre d’énergies carbonées hors charbon (re)devient (très) abondante, en tout cas par rapport aux estimations précédentes. Il est remarquable que cette augmentation de l’offre pourrait se faire en parÂtie à des coûts (relativement) faibles, voir très modestes par rapport aux prix actuels du pétrole.
De multiples conséquences et enjeux
Les conséquences de ces évolutions sont multiples, sachant qu’à court-moyen terme ce sont surtout les gaz non conventionnels qui vont bouleverser la donne :
1. Conséquences géostratégiques : la principale est l’augmentation du nombre de pays proÂducteurs et/ou de la production de certains pays et donc baisse relative du poids stratégique des pays du moyen-orient et de la Russie (d’autant plus que le gaz est largement substituable au pétrole, notamment dans l’industrie chimique de base ; à terme on peut aussi faire rouler beaucoup de véhicules directement au gaz ou en le transformant en carburant liquide). Ceci dit, l’Europe n’est pas, semble-t-il, la principale bénéficiaire directe de ces sources non conventionnelles mais pourrait l’être surtout indirectement (par une pression à la baisse sur les prix énergétiques).
2. Conséquences environnementales. Elles sont de trois ordres
- les dégâts environnementaux « locaux » liés à l’exploitation de ces réserves (polluÂtions maritimes, pollutions de nappes phréatiques, fuites de sulfure d’hydrogène…)
- les émissions de gaz à effet de serre liées aux fuites de méthane liées directement à l’exploitation du gaz de schiste ; quelques pour-cents de fuites suffisent à annihiler le bénéfice environnemental découlant de la substitution du méthane à des énergies fossiles plus « sales » dans les centrales électriques ou dans d’autres usages.
- l’aggravation du réchauffement climatique découlant d’une croissance supplémentaire facilitée par une moindre contrainte énergétique.
3. Conséquences socioéconomiques. Elles sont elles aussi très nombreuses :
- déplacement d’activités vers des pays jusqu’ici non producteurs (importants en tout cas) d’énergies fossiles ou rapatriement d’activités vers les pays qui ont d’abondantes ressources en gaz non conventionnel
- modifications de la structure des inputs énergétiques de l’industrie chimique
- développement de nouvelles activités ou développement d’activités existantes (matériels spécialisés, plate-formes d’exploitation, transports, turbines au gaz, etc.)
- modification des prix relatifs (par rapport aux tendances de référence) à la fois entre inputs énergétiques mais aussi entre produits en fonction de leur contenu énergétique (par exemple les plastiques pourraient voir leur prix relatif diminuer)
- modification des positions compétitives de divers vecteurs énergétiques ; c’est ainsi, par exemple, qu’aux Etats-Unis, l’Etat du Wyoming, principal producteur de charbon, s’inquiète sur le futur de sa production
- modification des positions compétitives internationales (notablement entre les Etats-Unis et l’Europe, au détriment de celle-ci), en tout cas tant que d’éventuels investissements et changements dans les pratiques commerciales n’auront pas rapproché les niveaux de prix du gaz entre les grandes zones économiques ; ces modifications de positions compétitives concernent par exemple les positions relatives des Etats-Unis versus l’Europe pour l’industrie chimique et les pays pétroliers pour ce qui est de l’industrie de transforÂmation du pétrole
- croissance économique plus forte que dans les scénarios de référence de moyen-long terme.
Et alors ?
Sans modification des politiques, ces évolutions ont, potentiellement, deux conséquences majeures :
- un probable relâchement collectif et individuel par rapport à la question énergétique
- une probable aggravation du rythme et de l’importance du réchauffement climatique qui découlerait de ce relâchement et d’autres évolutions socioéconomiques et environnemenÂtales signalées ci-dessus.
Mais ce serait oublier un peu vite que tout indique que le réchauffement climatique serait plus rapide et ses conséquences plus marquées que ce que les modèles prévoient. D’autre part une énergie plus abondante et, globalement, moins coûteuse ne va pas supprimer d’autres externalités négatives (environnementales, sociales et humaines) liées à son usage, que du contraire même. Enfin, l’exploitation de ces sources non conventionnelles pourrait générer de nouvelles externalités négatives.
Voilà pour les risques.
Mais on peut aussi essayer de faire de la montée en puissance de ces énergies non conventionnelles une opportunité. En effet, un coût hors taxes en baisse rend d’autant plus intéressant un transfert de la fiscalité du travail vers l’énergie, avec des retombées positives sur l’emploi et le développement d’activités favorisées par une énergie plus chère. En tout état de cause, des différences de fiscalité devront être maintenues entre vecteurs énergétiques en fonction de critères environnementaux.
En attendant de voir comment évoluera la politique énergétique européenne, il serait souhaitable que se développe rapidement un débat public au niveau fédéral et régional. Avec trois objectifs au moins :
- préparer les prises de position de la Belgique aux Conseils des ministres européens concernés
- mieux évaluer les enjeux et conséquences pour la Belgique, notamment en matière de politique énergétique (en particulier si la fermeture de 2 réacteurs nucléaires devait être confirmée)
- déterminer les ressources locales et les enjeux environnementaux liés à l’exploitation de ces (éventuelles) ressources.
Le lecteur intéressé trouvera plus de développements dans la note jointe.