Archive for juillet, 2022

Les salariés qui sortent de leur région pour aller travailler

lundi, juillet 25th, 2022

Lors de la conférence que la FEB a récemment (juillet 2022) consacrée à l’avenir de la sécurité sociale, un des experts invités a déclaré qu’il ne croyait pas beaucoup à la mobilité entre les régions pour faciliter la réalisation d’un taux d’emploi de 80%. « On a pris beaucoup de mesures en ce sens, mais elle n’a fait que diminuer ces dernières années. Et on voit que le taux d’emploi à Bruxelles et en Wallonie augmente, pourquoi dès lors aller en Flandre ? Le momentum sur ce point est dépassé, il ne faut pas en attendre de trop. »

Rappel : le taux d’emploi se mesure par rapport à la population des 20-64 ans.

Pourtant tout indique qu’il sera impossible, en tout cas beaucoup plus difficile, d’atteindre le taux d’emploi de 80% sans une augmentation des flux de travailleurs de Bruxelles et de la Wallonie vers la Flandre.

Dans cette perspective, cette Brève de l’IDD s’intéresse plus particulièrement aux évolutions récentes de la mobilité interrégionale des travailleurs salariés.

L’originalité de l’étude tient en partie à l’utilisation de données administratives produites par l’ONSS.

Voici pour commencer les données essentielles découlant des travaux de l’IDD :

NB : Comme les données sont disponibles, on a ajouté les flux de travailleurs venant de l’étranger vers chacune des trois régions.

On peut compléter par quatre autres constats majeurs :

  1. Les grandeurs estimées par l’IDD et celles découlant de l’Enquête sur les forces de travail (EFT) sont relativement proches sauf pour les flux Flandre > Wallonie et Wallonie > Flandre pour lesquels l’EFT donne des grandeurs systématiquement inférieures aux estimations de l’IDD.
  2. Pour tous les flux interrégionaux, 2020 marque un recul ; on constate un léger redressement en 2021 ; mais il est trop tôt pour déterminer si toutes les conséquences de la crise du covid sur le marché du travail laisseront ou pas des traces structurelles dans les évolutions des mobilités interrégionales à venir.
  3. Les deux grands flux (Flandre > Bruxelles et Wallonie > Bruxelles – 360.000 travailleurs au total) restent très stables sur la période 2015-2021 dans les estimations de l’IDD alors que l’EFT estime ces flux tendanciellement à la hausse.
  4. Certes, les mobilités interrégionales les plus « scrutées » (en particulier par des observateurs du nord du pays), à savoir celles de Bruxelles et de la Wallonie vers la Flandre, augmentent entre 2015 et 2021 mais, comme le montre le graphique suivant, les parts des travailleurs wallons et bruxellois dans l’emploi intérieur flamand bougent à peine ; au total, c’est moins de 5% de l’emploi flamand qui est assuré par des travailleurs des deux autres régions.

Bref, si progrès il y a pour ce qui est de la mobilité des salariés de Bruxelles et de la Wallonie vers la Flandre, il faudra une croissance absolue et relative de ces flux bien plus importante et soutenue que par le passé si on veut aider et la Flandre et la Belgique à atteindre un taux d’emploi de 80%.

Plus dans la note ici.

Philippe Defeyt

De la nécessaire indexation des barèmes fiscaux

samedi, juillet 2nd, 2022

Compte tenu de l’augmentation soutenue des salaires bruts entre 2021 et 2022 (+6% environ), la relativement faible indexation des tranches d’imposition au début de 2022 (+2,44%) a conduit à une érosion marquée des salaires nets au cours de l’année. Cette situation a contribué à une perte de pouvoir d’achat, notamment pour la catégorie des revenus les plus faibles, malgré le fait que les salaires soient automatiquement indexés.

Afin de corriger cette situation, le groupe d’experts sur le pouvoir d’achat et la compétitivité à proposé (juin 2022) d’indexer au 1er juillet les tranches d’imposition relatives au précompte professionnel sur les revenus du travail, afin d’aligner autant que possible l’évolution des salaires bruts et nets et d’améliorer ainsi le revenu net.

Cette mesure permettrait de restaurer rapidement du pouvoir d’achat, y compris pour la classe moyenne inférieure, et ce, dans un cadre connu (on ne fait qu’appliquer en cours d’année ce qui se fait chaque année au début de l’année).

Pour éviter que l’amélioration du pouvoir d’achat au cours du deuxième trimestre de 2022 ne soit « récupérée » au moment de l’enrôlement, il est bien sûr nécessaire d’adapter également les paramètres de calcul de l’impôt final ce qui permettra aux indépendants de bénéficier d’une réduction d’impôt équivalente (en tout cas lors de l’enrôlement).

Le texte disponible ici détaille l’analyse et la proposition.

A votre disposition.

Philippe Defeyt

L’indexation des salaires et des barèmes fiscaux : des mécanismes à moderniser

samedi, juillet 2nd, 2022

Concerne : L’indexation des salaires et des barèmes fiscaux : des mécanismes à moderniser

En janvier 2022, l’IDD a publié une note intitulée « L’indexation des salaires et des barèmes fiscaux : des mécanismes à moderniser ». Son principal objectif était d’attirer l’attention sur le fait qu’en cas d’indexation en cours d’année, le salaire net augmente moins vite que le brut ; l’explication : les paramètres fiscaux sont indexés en début d’année et ne bougent plus jusqu’au début de l’année suivante.

Cette note a pour objet d’affiner l’analyse en étudiant l’évolution des salaires bruts et nets, à prix courants et réels, à la fois sur une base annuelle et sur une base mensuelle, pour trois modèles d’indexation : fonction publique, CP200 (Commission Paritaire Auxiliaire pour Employés) et CP310 (Commission Paritaire des Banques) ; ces modèles d’indexation ont été choisis parce qu’ils sont fort contrastés :

  • fonction publique : indexation de 2% quand l’indice-pivot est franchi (indice-santé lissé)
  • CP 200 : adaptation des salaires en janvier sur base de l’évolution de la moyenne des indices-santé lissés de novembre et décembre de l’année précédente par rapport à cette même moyenne de l’avant dernière année
  • CP 310 : adaptation des salaires tous les deux mois (janvier, mars…) ; le pourcentage d’indexation est égal à l’évolution en pourcentage de l’indice-santé des 4 mois précédents, comparé à la moyenne arithmétique de l’indice-santé du 3ième au 6ième mois précédent l’adaptation.

La principale conclusion de l’analyse est que – dans la configuration actuelle d’évolutions de l’indice des prix à la consommation et de l’indice-santé lissé – les salariés perdent du pouvoir d’achat, malgré les mécanismes d’indexation des salaires existant ; certains travailleurs, comme ceux de la CP 200 sont particulièrement mal lotis, comme le montre le graphique ci-après. On notera encore que, malgré l’indexation annuelle des barèmes fiscaux, le salaire net réel serait fin 2023 inférieur à celui de janvier 2021, dans les trois situations.

Quelles conclusions tirer de ces illustrations des impacts dans le monde réel des mécanismes d’indexation ?

Hors augmentation salariale, l’évolution du pouvoir d’achat dans le monde réel dépend de beaucoup de paramètres : dynamique d’évolution des prix entre deux indexations, écart entre l’évolution de l’indice-santé lissé qui gère les indexations et celle de l’IPC, dates et modalités d’indexation du salaire brut, adaptation des montants et seuils de l’IPP (précompte professionnel) au début de chaque année, dont l’impact dépend du niveau de revenu et de la configuration du ménage ; en outre, les temporalités ne sont pas les mêmes ; en bref : la cohérence n’est pas au rendez-vous.

Toutes choses égales par ailleurs,

  • le pouvoir d’achat est érodé en cours d’année en cas d’indexation du salaire brut parce que le barème fiscal n’est indexé qu’une fois l’an ; cette observation vaut quels que soient les paramètres des diverses indexations qui se télescopent ;
  • la hauteur de l’impact négatif de la non indexation du barème fiscal en cours d’année est différente d’une convention collective à l’autre (en fonction des modalités d’indexation et du nombre d’indexations en cours d’année) ;
  • le taux d’indexation appliqué une fois l’an aux montants et seuils fiscaux ne correspond pas nécessairement à l’évolution nominale des salaires en cours d’année, parce qu’elle est propre à chaque convention collective et parce que l’indexation des barèmes fiscaux se fait sur base de l’évolution des prix (IPC) de t-1 versus t-2 ; c’est en particulier le cas en 2022 : indexation des barèmes fiscaux de é,44% contre une augmentation moyenne des salaires horaires bruts de l’ordre de 6% ;
  • en tout état de cause, entre deux indexations, on sait que le pouvoir d’achat est réduit à due concurrence de l’évolution des prix (sauf si les prix baissent…) ; quand l’IPC augmente plus que l’indice-santé lissé, ce qui est le cas dans la seconde moitié de l’année 2021 et une bonne partie de l’année 2022, la perte de pouvoir d’achat entre deux indexations s’en trouve accentuée.

Même si on touche à des matières techniquement un peu complexes et socialement et politiquement « sensibles » de même qu’à des traditions de fonctionnement sectorielles parfois anciennes, il me semble qu’il faudrait harmoniser les dispositifs d’indexation pour les rendre cohérents, plus lisibles et protégeant mieux le niveau de vie en cas de forte inflation.

Si on veut véritablement garantir le pouvoir d’achat des salariés et le stabiliser dans le temps, il faudrait donc, idéalement ,

  • avoir des indexations salariales plus rapprochées ;
  • adapter le barème fiscal à chaque indexation des salaires bruts pour que l’augmentation en net soit égale à l’augmentation en brut ; mais pour qu’une telle mesure puisse être mise en Å“uvre, il faut dès lors harmoniser les mécanismes et modalités d’indexation des salaires bruts entre secteurs ; en effet, même si on acceptait d’adapter tout au long de l’année les barèmes fiscaux, il faudrait le faire pour chaque convention collective puisque les modalités d’indexation diffèrent, ce qui complexifie la mise en Å“uvre d’une réforme – pour moi souhaitable – visant à faire évoluer le net comme le brut.

Tenant compte de l’analyse, la meilleure formule serait une harmonisation des modalités d’indexation des salaires et des barèmes fiscaux. Concrètement, la proposition serait d’indexer les salaires et les barèmes fiscaux chaque semestre, sur base de la même référence, permettant ainsi de limiter l’érosion du niveau de vie en cours d’année ; dans la foulée, le barème fiscal appliqué lors de l’enrôlement serait la moyenne des deux derniers barèmes semestriels. Une telle proposition rend les choses simples, cohérentes et rapproche les temporalités de toutes les indexations. Dans la foulée, ce mécanisme pourrait servir à l’indexation de diverses dépenses publiques, comme par exemple les subsides aux secteurs sociaux, les transferts du fédéral vers les régions et communautés, les bourses d’études, etc., etc. Il va de soi que ces mécanismes d’indexation vaudraient aussi pour les allocations sociales.

Une harmonisation des mécanismes d’indexation permettrait aussi d’éviter des effets collatéraux non désirés ; en effet, à la marge, des travailleurs peuvent se trouver en-deçà ou au-delà de seuils qui ouvrent le droit à divers avantages simplement parce que les règles d’indexation (temporalités et indices pris en considération) ne sont pas les mêmes.

Plus dans la note ici.

A votre disposition.

Philippe Defeyt